« Archipels » et « multivers » : d’où nous viennent ces termes ? Qu’est-ce que la pensée archipélique ? Telle est la question posée par le poète, romancier et théoricien caribéen Édouard Glissant, qui la décrit comme une sorte de « pensée qui tremble, une pensée non présomptueuse, mais aussi une pensée qui s’ouvre, qui se partage ». S’ouvrir sur l’extérieur à partir de sa propre position avec nostalgie, hésitation et intuition (en d’autres mots, trembler), c’est adopter une perspective qui tourne le dos à une pensée autoréférentielle et démarcative. C’est une méthode qui va à l’encontre du principe de domination parce qu’elle accepte l’impossibilité d’origines compatibles, héréditaires et accessibles. La pensée archipélique, c’est embrasser l’indétermination qui construit le monde.
Dans Archipelago: Architectures for the Multiverse, l’archipel est à la fois une proposition de méthode de travail et un cadre de relations. L’archipel de Glissant comprend à la fois les îles individuelles qui le composent et la forme du continent vers lequel il s’oriente et plaide pour une fluidité de mouvement (comme un bateau qui dérive entre les deux espaces) afin de cultiver de nouveaux hybrides.
Si l’archipel est une façon de se déplacer, alors le multivers est une complication du lieu. Au lieu de destinations stables, qui impliquent des vecteurs d’arrivée singuliers, le lieu multiversel est un espace où de nombreuses histoires, de nombreuses compréhensions, de nombreuses langues peuvent se superposer. Comment transcender les définitions – moderne / non moderne, local / global, dominant / opprimé – pour comprendre où nous sommes et quelles routes s’offrent à nous ?
Durant sa phase de réalisation, ainsi que lors de sa diffusion du 6 au 8 mai 2021, Archipelago cherchera à intégrer ce mode d’investigation dans toutes ses conversations sur les disciplines – architecture, paysage, design d’intérieur – comme un moyen de les déconstruire. Nous présupposons que chaque discipline, soigneusement séparée dans l’espace académique et professionnel, est en fait une marmite bouillonnante de particules en collision. On pourrait décrire cet effet comme un « édifice baroque » et symbio-génétique, pour emprunter un terme de Lynn Margulis, ou similaire à l’acte de se frayer un passage dans le tas de compost de Donna Haraway. On pourrait encore y trouver des affinités avec l’œuvre fictionnelle d’Ursula Le Guin, soit un récipient de possibilités plutôt qu’un socle.
Archipelago les prend comme point de départ d’une réflexion collective :
– Que doit-on construire et quand doit-on construire ?
– Quels sont les récits, les connaissances, les systèmes et les histoires qui se cachent aux yeux de tous ?
– Comment remettre en question les frontières disciplinaires par le biais de liens tels que les affinités, le soin ou encore la défense des intérêts ?
Les réponses, ou d’autres questions, qui découleront potentiellement de ces amorces nous guideront dans notre réflexion sur ce qui nous lie et nous sépare et sur la façon dont on pourrait collectivement réfléchir au moment présent et, peut-être, tracer ensemble les lignes d’un nouvel archipel.